Les premières années de la vie sont essentielles au développement du langage, on parle même de période sensible. Qu’est-ce qu’une période sensible ? C’est une période de développement durant laquelle l’enfant est particulièrement réceptif à certaines expériences parce-que c’est à ce moment-là que ces expériences vont s’imprégner de manière optimale dans son cerveau.
Prenons l’exemple du langage. Pendant la première année de la vie, le bébé est capable de différencier tous les sons de toutes les langues du monde et en moins d’un an, il va se spécialiser dans la langue ou dans les langues qu’il entend autour de lui. Ainsi, quel que soit l’endroit où l’on naît et quel que soit notre héritage génétique, on a la capacité à la naissance d’apprendre toutes les langues du monde. En tant qu’adulte on a bien sûr toujours la capacité d’apprendre une nouvelle langue mais pas avec la même facilité et nous n’atteindrons jamais le niveau que l’on aurait atteint si on avait baigné dans cette langue en étant petit.
Cette capacité de différencier tous les sons de toutes les langues va disparaître avant un an. Parc conséquent, la capacité d’apprendre la phonologie d’une deuxième langue va diminuer rapidement pendant l’enfance. On peut ainsi dire que la première année de la vie est une période sensible pour la phonologie. Cela se traduit concrètement par exemple, par le fait que les mots entendus dans la toute première enfance comme « papa », « maman », « biberon », « téter », « couche » seront toujours reconnus avec une plus grande facilité et une plus grande vitesse et ce, même à l’âge adulte.
Vous savez également sûrement que les bébés ont un attrait naturel très fort pour les visages et notamment pour la bouche qui parle. En effet, ils passent plus de temps à regarder la bouche que les yeux de la personne qui leur parle ce qui n’est pas le cas chez les adultes. Lorsqu’il n’y a pas de bruit, lorsqu’il n’y a pas de difficultés particulières de compréhension, les adultes préfèrent regarder les yeux de la personne qui parle.
D’après l’équipe de recherche du professeur Edouard Gentaz, ces résultats laissent penser que les nourrissons ont besoin de voir les mouvements de la bouche pour faciliter l’apprentissage de leur langue maternelle. On retrouve d’ailleurs ce besoin après 3 ans et même jusqu’à l’âge de 10 ans ce qui laisse penser que les enfants ont besoin de regarder la bouche de leurs interlocuteurs pour des apprentissages de difficulté croissante (apprentissage de nouveaux mots ou lecture par exemple).
Chez le bébé, ce sont aussi toutes les bases de la socialisation qui se mettent en place : grâce à cet attrait pour les visages, le bébé apprend à distinguer les visages familiers des visages inconnus, il apprend à reconnaître les différentes personnes de son entourage, il apprend à décoder leurs expressions faciales, leur état émotionnel et l’intensité de ces états émotionnels, autant de compétences de base essentielles pour la communication.
Lorsque deux adultes communiquent entre eux, les linguistes estiment que 70 % du message est porté par le non-verbal (les expressions faciales, les gestes, la posture) et bien sûr chez les jeunes bébés cette partie non verbale est encore plus importante notamment quand ils n’ont pas encore accès au sens des mots.
Toutes ces données amènent à réfléchir sur les effets du port du masque par les éducateurs en structure petite enfance ou même à l’école. Une superbe revue de questions sur le sujet qui vient d’être publiée par l’équipe d’Edouard Gentaz. Il en ressort deux résultats principaux :
1/ le port du masque altère la reconnaissance des visages non familiers et l’effet est plus marqué chez les enfants (qui ont des capacités de traitement et de reconnaissance des visages qui sont en pleine construction)
2/ le port du masque altère la perception des expressions faciales et le décodage des émotions et ce d’autant plus que l’enfant est jeune.
D’autres données montrent également que les bébés accueillis en crèches pendant la pandémie sourient moins, rient moins et maîtrisent moins de mots en comparaison avec des enfants du même âge accueillis en crèche avant la pandémie.
J’ai l’espoir que ces données nous permettent de réfléchir ensemble aux solutions les plus pertinentes afin de protéger non seulement la santé des enfants mais aussi leur développement intellectuel et social. Je vous invite à partager en commentaire les solutions que vous avez trouvées ou que vous envisagez pour tirer votre épingle du jeu et peut-être que l’intelligence collective va nous apporter des pistes intéressantes pour surmonter ce défi et ceux à venir !
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